Une question d’échelle
Tous nos lecteurs assidus ont sans doute repéré que nous avons manqué de régularité dans l’écriture d’articles pour le blog. Nous n’avons eu que peu de temps, certes, mais en plus il faut reconnaître que nous avons eu beaucoup de décisions à prendre. Parmi elles, la question du développement, de la croissance ou de la progression de l’activité de l’atelier. Voici donc ici le résultat des réflexions.
Peut-être connaissez-vous cette situation : vous portez un projet (une envie, une idée…), et vous vous retrouvez sans le vouloir dans une ambiance « startupers innovants », et vous devez présenter ce dit projet. En 3 minutes top chrono, avec le sourire SVP, et en finissant par une petite blague, on a réussit ! Tout le monde ou presque a compris, tout le monde ou presque adore, trouve que le vélo c’est super, c’est à la mode et que c’est en phase avec le marché. Puis vient la question, celle qu’on a lu et re-lu dans les manuels du parfait entrepreneur, celle qu’on s’attendait à entendre (mais qu’on espérait éviter) : « Comment voyez-vous votre activité dans 5 ans ? »
Respiration faussement tranquille, concentration maximale, et allez hop, une réponse toute prête « croissance de 30% par an, place de leader sur le marché, tout ça quoi ». Ah oui mais là ça bloque. Pour pas mal de raisons en fait : Tout d’abord parce que ce projet, on le souhaite et on l’envisage à taille humaine. C’est à dire qu’on ne veut pas inonder le marché avec nos vélos, mais qu’on veut connaître les utilisateurs, leurs pratiques, et pourquoi pas les accompagner pour qu’ils utilisent ces vélos avec un maximum d’autonomie. Ensuite, parce que ce que l’on souhaite c’est vivre de cette activité, pas faire fortune, juste être à notre place, et pouvoir le faire. En vivre cela veut dire se payer certes, mais aussi avoir du temps pour cette activité (mais aussi du temps en dehors de cette activité). On entend aussi par « en vivre », de faire vivre ce projet dans un contexte, un environnement, un milieu, avec des gens qui travaillent avec nous. Et enfin, parce qu’on croit qu’on peut participer à un modèle de société qui sans être un système Amish, puisse se construire comme alternative à une croissance plein gaz.
Ok, parfait tout ça, mais ne nous éloignons pas trop. On vous parlait dans le titre d’une échelle. Depuis 2 ans (lancement officiel de l’atelier), voire depuis 3 ans (création du 1er prototype Sémaphore), l’activité a progressé. Premier échelon de la dite échelle : la campagne de financement participatif ou comment démarrer avec d’autres. Deuxième barreau, l’ouverture de l’atelier, avec le montage des premiers vélos. Un an après, une première série de cadres (10) était vendue. On continuait donc et on commandait au même endroit (Italie et République Tchèque) 15 cadres cette fois. Une épidémie, une pandémie, des élections municipales et un confinement plus tard, plein de mesures en faveur du vélo ont été mises en place : primes locales, « coronapistes« , coup de pouce vélo… Les Cycles Sémaphore ont pris part à tout ça, et à notre échelle, nous avons participé à toute cette dynamique. L’été 2020 a donc été chargé en réparations, fabrications et réflexions. En septembre, il est apparu nécessaire de re-commander des cadres. Retour donc à cette question d’un développement de l’activité : a-t-on envie de fabriquer et vendre beaucoup plus de vélos (une cinquantaine par an plutôt qu’une vingtaine) ? Pour « gagner » en réactivité, est-on prêt à faire fabriquer les cadres à Taïwan plutôt qu’en Europe ? Quels avantages et quels inconvénients à cela ? Pas facile de trancher toutes ces questions.
Pour prendre une décision, nous nous sommes appuyés sur ce qui nous paraît être la plus value de nos vélos. Oui, nous pensons que leur qualité vient du fait qu’ils sont fabriqués en Europe (mais il ne faut pas se mentir, la qualité existe aussi bel et bien à Taïwan) ; oui l’argument écologique est valable (mais ne nous y trompons pas, certains composants, dans tous les cas, viennent de l’autre bout du monde). La plus value de nos vélos nous semble être notre travail d’assemblage « à la carte », notre manière de travailler en détail, avec soin sur chaque vélo et notre capacité à choisir avec vous les composants les plus pertinents. Cela revient donc à privilégier une échelle humaine, à choisir la simplicité dans les échanges et à avoir la main sur chaque étape dans la fabrication du vélo. Autrement dit, le lieu de fabrication compte, mais compte aussi la manière de fabriquer. Serait-ce cela l’artisanat ?
Nous avons donc commandé une troisième série de cadres (20 cette fois), toujours au même endroit. Mais tous ces questionnements nous ont aussi invité à réfléchir à ce que nous aimons faire. Et là, ça va peut-être ressembler à une déclaration d’amour, mais OUI nous aimons quand vous nous posez des questions sur ce que peut porter un Sémaphore (pour info 80kg sur le porte-bagage, 200kg sur l’ensemble du vélo), sur son poids (à partir de 17kg), sur les différents types de freins, de transmission… Nous aimons AUSSI quand vous prenez la décision de commander un vélo, nous y voyons beaucoup de confiance, et cela nous plaît. Nous aimons ENCORE plus quand vous nous racontez vos aventures avec ces vélos, cela nous donne envie de continuer comme nous le faisons, d’inventer à nouveau, de questionner ! Nous avons aussi découvert que pour continuer à aimer tout cela, il fallait que le rythme soit supportable, équilibré, que l’on ait le temps de s’arrêter parfois, de se laisser du temps. Quand tout cela est possible, on se régale. Avant de lancer ce projet, nous avions fait de très belles rencontres. Nous pouvons dire désormais que nous faisons de très belles rencontres grâce à ce projet.
Merci pour tout cela donc. Nous adorons cette aventure, et on espère que vous aussi !